Danser sur les cimes: les atouts climatiques de Leysin
L’affiche Leysin, air et soleil, réalisée à la fin des années 1920, a marqué l’histoire de la station vaudoise. Le succès international de l’œuvre accompagne le fort attrait des cures d’altitude à cette époque.
Une jeune femme nue enjambant les cimes enneigées inondées par les rayons d’un soleil resplendissant, un corps plein de santé et de vitalité s’envolant vers la lumière… Telle est la représentation de l’affiche médico-touristique Leysin, air et soleil réalisée par l’artiste bâlois Jacomo à la fin des années 1920. Cette œuvre a marqué son temps en devenant, après sa première diffusion en 1928, un véritable symbole de Leysin. La commune vaudoise est à cette époque l’une des plus importantes stations climatiques d’altitude en Europe. Avec l’arrivée du docteur Auguste Rollier en 1903, elle s’est spécialisée dans l’héliothérapie pour la cure et la prévention de différentes maladies, parmi lesquelles la tuberculose osseuse.

L’histoire de l’affiche commence en février 1928. Cette année-là, elle remporte le premier prix d’un concours organisé en 1927 par la Société de développement de Leysin (SDL), dont le but est de promouvoir les principaux atouts du site naturel. Celui-ci se situe entre 1250 et 1450 mètres et on y trouve à cette époque plus de 60 établissements médicaux.Le succès de l’affiche est immédiat. Elle est à nouveau choisie, en 1933, pour la couverture d’un guide consacré à Leysin et illustre, dans les années suivantes, plusieurs brochures touristiques. On l’emploie même pour des timbres destinés aux valises des curistes qui quittent la station. La célébrité de cette silhouette féminine se répand aussi rapidement à l’étranger. Lorsque la SDL – qui doit imprimer de nouveaux prospectus – propose de changer l’affiche, les agences publicitaires étrangères s’y opposent, estimant qu’elle est devenue l’image de marque de Leysin.
Son succès est d’ailleurs confirmé lors d’un concours lancé à Paris en janvier 1935 pour primer la plus belle affiche suisse des stations d’hiver. Le public parisien lui attribue par référendum 40% de suffrages, et l’affiche de Leysin sort ainsi largement gagnante. Jacomo fait pourtant face à des collègues prestigieux, tel qu’Herbert Matter – graphiste suisse destiné à une grande renommée internationale – qui présente à ce concours l’affiche officielle de l’Office de tourisme suisse.
Les raisons d’un engouement
Les subtiles allusions aux bienfaits médicaux associés à la montagne expliquent en partie ces succès. La chaude luminosité du ciel transmet une idée forte du pouvoir curatif de ce climat caractérisé par l’intensité du rayonnement solaire. Le «bon air» des Alpes est associé, dans ces années, à l’idée de propriétés préservatives et curatives dépendantes d’un ensemble de facteurs liés à l’altitude: un air frais et sec, l’absence de brouillard et l’intense rayonnement solaire auquel on attribue un fort pouvoir bactéricide. L’atmosphère de ces régions est en outre remplie par les effluves balsamiques des résineux qui facilitent la respiration. Les propriétés du manteau neigeux – permettant de retenir au sol les microbes – sont également mises en valeur par les médecins. L’étendue du panorama aurait aussi, selon les promoteurs des stations d’altitude, un effet psychologique positif, contribuant à améliorer le moral des patients. L’affiche de Jacomo exploite de façon remarquable l’ensemble de ces éléments: le fort rayonnement solaire, la neige qui recouvre les sommets, la guirlande de résineux qui l’encadre, le magnifique panorama qui, sur des plans successifs, s’étend jusqu’aux Dents du Midi. De plus, les études scientifiques de l’époque sur l’acclimatation à l’altitude mettent au premier plan l’effet stimulant et tonique de ce type de climat.
Avec sa figure féminine dégageant une profonde énergie vitale, Jacomo introduit un autre élément très significatif qui lui permet de valoriser au mieux ces effets physiologiques liés à l’altitude. La silhouette élancée évoque moins une performance sportive qu’un élan kinesthésique salutaire, où se mêlent l’influence des mouvements naturistes et l’eurythmie thérapeutique de Rudolf Steiner, pratiquée à la clinique de la doctoresse Ita Wegman, ouverte dans la région bâloise en 1921. Mais c’est la méthode de la danseuse britannique Margaret Morris qui a le plus influencé l’artiste. Cette méthode était pratiquée depuis 1926 à des fins médicales dans les établissements de Rollier, à Leysin.

Plusieurs versions, un succès ininterrompu
Attirant l’attention sur ce corps dynamique, l’affiche évoque donc un paysage propice, non pas à la maladie, mais à la santé retrouvée. Elle se prêtera ainsi à des usages divers au cours des années, grâce à la simple variation du slogan qui orne sa partie inférieure, dont le changement renouvelle son sens en captant l’attention de différents publics potentiels.

Cinq versions ont été retrouvées. Les deux plus anciennes sont imprimées à Lausanne chez Auguste Marsens, l’un de plus importants imprimeurs vaudois d’affiches de l’époque. Elles présentent deux slogans légèrement différents – «Air et Soleil» et «Station de cure d’air et de soleil».Les trois autres versions, et leurs variantes, sont réalisées à Bruxelles. La première est imprimée par Jean-Louis Goffart, lithographe de l’Académie Royale du Belgique, et s’adresse à des malades à l’aide du bandeau: «Traitement de la tuberculose sous toutes ses formes». Les deux autres versions sont imprimées chez Marci, un autre célèbre imprimeur belge d’affiches. Elles présentent une signature de l’artiste légèrement modifiée et une typographie également différente. La première version de Marci, reprend le message strictement médical en y ajoutant «Cures de repos et de convalescences». Le bandeau de la deuxième version, imprimé en français ou en anglais, est lui totalement différent, car le slogan «Vacances ensoleillées» vise clairement les touristes.
Cette version, sans doute la dernière, date probablement de l’après-guerre. L’introduction des antibiotiques signe à cette époque le déclin des sanatoriums de montagne. Leysin se voit alors contrainte d’entreprendre sa reconversion en station touristique, sans pour autant abandonner sa belle affiche. Celle-ci lui reste associée depuis lors.
L’artiste méconnu
Jacomo est le pseudonyme d’un artiste méconnu aujourd’hui. C’est seulement grâce aux registres des archives suisses qu’on peut reconstituer sa biographie. Originaire de Bâle-Ville, son vrai nom est Jacques-Joseph Muller. Il naît le 18 mars 1897. Peu après son mariage avec la Lausannoise Jeanne Marguerite Zimmerli, il quitte Bâle pour Genève où il réside de 1922 à 1926. Il s’établit ensuite dans la ville natale de son épouse, où il exerce la profession de dessinateur et où le couple donne naissance à deux enfants avant de divorcer en 1945. Jacomo vit à Lausanne jusqu’en octobre 1943, puis part s’établir à Neuchâtel et l’année suivante à Bâle. La période la plus créative de sa carrière a sans doute été celle passée en Suisse romande, car c’est dans ces années qu’il réalise plusieurs affiches intéressantes. Il s’agit souvent d’affiches touristiques de sites romands, ou destinées à promouvoir des manifestations ayant lieu dans ces localités. Il crée également plusieurs affiches publicitaires pour des produits commerciaux (détersifs, chocolats, livres, pâtes, bières, etc.). Artiste talentueux, il gagne aussi quelques prix lors des concours auxquels il participe. Jacomo décède à Bâle le 29 novembre 1960.
Daniela Vaj,
historienne UNIL
Pour en savoir davantage: Daniela Vaj, «Portfolio affiches : atmosphère, atmosphère...», L’Alpe, 27, 2005, p. 28–37. Le bon air des Alpes. Entre histoire culturelle et géographie des représentations, Numéro thématique de la Revue de Géographie Alpine, (1), 2005, publié sous la direction de Claude Reichler.Cet article est tiré du numéro 16 du magazine Passé-simple paru en juin 2016.