Quand Perrier fit une folie
En 1860, un député radical genevois tenta d’annexer le nord de la Haute Savoie à son canton. Avec 50 partisans, il réquisitionna l’Aigle n° 2 et le contraignit à gagner Thonon, puis Evian. L’expédition fit pschitt, mais provoqua un beau ballet de vapeurs sur le Léman.
Le 31 mars 1860 à 4 heures du matin se déroula dans la rade de Genève un événement insolite. Au son du tambour et à la tête d’une cinquantaine d’hommes, dont plusieurs étaient armés, portant sabre sur le côté, John Perrier se présenta devant le capitaine du vapeur l’Aigle n° 2.
John Perrier n’était pas un inconnu. Ce joaillier était un lieutenant de l’homme fort du canton, James Fazy père du radicalisme genevois. Un second qui savait enflammer les foules par des propos outranciers, mais aussi un second incontrôlable, imprévisible.
Le député donna l’ordre à l’équipage d’appareiller. Réveillé en sursaut, le capitaine refusa sans un ordre écrit du Conseil d’Etat. John Perrier tenta de revenir avec l’autorisation écrite du vice-chancelier qui refusa de prêter sa main. Pas de souci: le député contrefit un document officiel en y apposant une fausse signature.
Le capitaine obtempéra. Le vaisseau partit à Thonon, puis à Evian et y débarqua chaque fois un contingent d’hommes dont John Perrier. Ceux-ci laissèrent prudemment leurs armes dans le navire qui continua son chemin en direction du Bouveret avec le reste de sa troupe improvisée.
John Perrier avait un plan. Il allait soulever les foules du Chablais français, du Faucigny et du Genevois afin que toute la région réclame son rattachement au canton de Genève. C’est que quelques jours auparavant avait été publié le traité de Turin qui proclamait la «réunion» de la Savoie à la France. John Perrier était convaincu que les Savoyards en étaient ulcérés. A sa surprise, l’accueil fut glacial et le verbe du député dans les cafés ne produisit aucune espèce d’enthousiasme révolutionnaire.
Selon le Journal de Genève, qui détestait les radicaux, les envahisseurs se contentèrent de fréquenter des bars: «A Thonon, il serait descendu à terre une douzaine d’hommes qui ont envahi un cabaret dans lequel ils paraissent être restés jusqu’au passage de l’Italie qui, faisant son service régulier, se dirigeait vers Evian et sur lequel ils sont montés. Dans cette dernière ville, l’Aigle avait également déposé une vingtaine d’individus qui s’y sont livrés, comme leur collègues de Thonon, à de copieuses libations.»
Les autorités suisses négociaient alors mollement avec le royaume de Sardaigne le rattachement de la Savoie à la Confédération. Depuis le Congrès de Vienne en 1815, la Savoie était pourtant placée sous protection de la Suisse. Mais Berne craignait que cet agrandissement ne donnât trop de poids à la confession catholique, treize ans après la guerre du Sonderbund de 1847.
Vive réaction de Berne
En revanche confrontée à l’affaire Perrier, la Confédération réagit avec célérité. Le vapeur Guillaume-Tell partit de Genève pour arrêter les passagers de l’Italie avant leur débarquement dans la rade, tandis que l’Hirondelle quittait Ouchy pour intercepter l’Aigle. Chaque fois des troupes cantonales étaient conduites par un représentant de Berne. L’Aigle fut retrouvé vide des mutins, mais des armes, un tambour et le sabre de John Perrier furent saisis. Les passagers de l’Italie furent interceptés et emmenés sous bonne garde à Genève où la foule hua John Perrier, craignant sans doute une guerre avec la France de Napoléon III qui désirait ardemment le rattachement de la Savoie. Accusé d’avoir soutenu discrètement l’opération, le Conseil d’Etat genevois condamna l’expédition. John Perrier fut embastillé dans une prison genevoise. Il y resta 76 jours avant d’être libéré sans condamnation et après une enquête bâclée. L’incident n’eut pas de conséquence. Le 28 avril 1860, les Savoyards votèrent pour le rattachement à la France par 130 533 oui contre 235 non. L’influence de l’Eglise catholique et la présence d’un commissaire impérial sur place ont sans doute largement contribué à ce beau résultat.
Mais entre temps, John Perrier avait trouvé un nouveau cheval de bataille: il avait vécu une prison genevoise de l’intérieur. Il se battit pour améliorer les conditions de détention dans son canton qui étaient selon lui «une barbarie».
En revanche confrontée à l’affaire Perrier, la Confédération réagit avec célérité. Le vapeur Guillaume-Tell partit de Genève pour arrêter les passagers de l’Italie avant leur débarquement dans la rade, tandis que l’Hirondelle quittait Ouchy pour intercepter l’Aigle. Chaque fois des troupes cantonales étaient conduites par un représentant de Berne. L’Aigle fut retrouvé vide des mutins, mais des armes, un tambour et le sabre de John Perrier furent saisis. Les passagers de l’Italie furent interceptés et emmenés sous bonne garde à Genève où la foule hua John Perrier, craignant sans doute une guerre avec la France de Napoléon III qui désirait ardemment le rattachement de la Savoie. Accusé d’avoir soutenu discrètement l’opération, le Conseil d’Etat genevois condamna l’expédition. John Perrier fut embastillé dans une prison genevoise. Il y resta 76 jours avant d’être libéré sans condamnation et après une enquête bâclée. L’incident n’eut pas de conséquence. Le 28 avril 1860, les Savoyards votèrent pour le rattachement à la France par 130 533 oui contre 235 non. L’influence de l’Eglise catholique et la présence d’un commissaire impérial sur place ont sans doute largement contribué à ce beau résultat.
Mais entre temps, John Perrier avait trouvé un nouveau cheval de bataille: il avait vécu une prison genevoise de l’intérieur. Il se battit pour améliorer les conditions de détention dans son canton qui étaient selon lui «une barbarie».

Justin Favrod
Crédits des photographies: Almanach du magasin pittoresque, 11, Paris, 1861.Cet article est tiré du numéro de lancement du magazine Passé-simple paru en décembre 2014.